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La stratégie du corail

Le corail est l’un des organismes vivants les plus anciens du monde. Il tient sa longévité et sa résistance à sa capacité à construire en permanence des échanges réciproques avec son milieu, dans une relation d’entraide toujours ajustée, enrichie ; et il constitue lui-même un habitat pour d’autres espèces. Ainsi le corail et son milieu forment-ils un seul environnement solidaire qui se reconfigure et se renforce au fil des millénaires. Pour mettre en œuvre ce dispositif d’entraide, le corail déploie des processus de développement aux possibilités formelles infinies mais qui correspondent  toujours à un même objectif : construire la relation à la fois la plus précise et la plus sensible avec ce qui l’entoure.

De la même manière, l’architecture doit travailler à une maximisation stratégique des points de contacts avec son environnement ; multiplier les points de vue et les échappées, visuelles ou physiques. Plusieurs stratégies le permettent ; en épaississant par exemple la limite entre intérieur et extérieur, en la floutant pour en faire un lieu en soi. La frontière devient habitable mais en jouant avec les critères traditionnels de l’habitabilité : un espace indéfini, qui maximise le moment de transition entre le dedans et le dehors à l’image des seuils japonais (combinaisons épaisses et modulables de shojis, des parois papier ou textile).

Un dispositif comme celui-là permet de libérer la capacité créatrice de l’architecte et de l’habitant, car la grille classique des usages prédéfinis ne fonctionne plus, d’autres schémas sont à trouver pour occuper l’espace. Cette démarche a guidé le principe de réhabilitation du campus de Luminy de l’université d’Aix-Marseille. Pour donner une nouvelle chance à l’environnement conçu par René Egger dans les années 60, il a été choisi de ne toucher presque en rien à la rationalité des bâtiments et de concentrer l’intervention sur une approche par l’extérieur, par la peau. Sans, cependant, recouvrir totalement l’existant : « la forme enveloppe la matière mais ne l’enveloppe jamais complètement », comme l’écrit l’ethnologue André Leroi-Gourhan à propos des techniques de poterie japonaise. Des visibilités réciproques, entre intériorité et extériorité.

SCAU architecture, Campus de Luminy à Marseille, photo de Luc Boegly.

La greffe d’une seconde façade poreuse vient ainsi, à Luminy, à la fois épaissir et troubler les bâtis du campus, en leur attribuant une image rocailleuse et solaire qui dialogue avec les massifs de pierre environnants. Le bâtiment de l’IRSN à Fontenay aux Roses s’appuyait déjà sur une stratégie un peu similaire : il est recouvert par une peau protectrice, vivante, changeant d’aspect au fil des heures, au fil du mouvement de ses écailles.

SCAU architecture, Campus de Luminy (chantier en cours) et IRSN (réalisé en 2017).

Une autre stratégie permet de remplir le même objectif - amener la quantité maximale de « nutriments » (air, lumière, vue…) à l’intérieur des espaces construits : déformer le plan, le tordre, le creuser ; et étirer la façade pour aller au plus près des habitants. Ce processus, initié pour le projet Fortis (non-réalisé, 2013), a plus tard été repris sous deux formalisations différentes dans deux projets construits, à Lyon et à Bagneux.

Fortis (2013), siège Boehringer Ingelheim (2017), Résonance (2017) : trois déclinaisons formelles d’une même stratégie (SCAU).

Un travail de volumétrie plutôt qu’en plan constitue une autre manière de faire, et c’est celle qui a été choisie dans le cadre du projet Campus 4D : un projet de design spéculatif consacré aux nouveaux environnements de travail et réalisé collectivement en workshop d’agence. Les surfaces de relations entre intérieur et extérieur sont démultipliées dans les trois dimensions : le parc grimpe dans les étages, s’insère dans les creux ; les jardins suspendus sont des invitations permanentes à sortir des espaces clos, à sortir des pratiques habituelles du travail. L’indéfinition de la frontière entre dehors et dedans encourage à une indéfinition de la frontière entre sauvage et col blanc. 

Campus 4D, projet spéculatif réalisé en workshop d’agence.
Stéphane Degoutin et Gwenola Wagon, « World Brain » (2015).

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