CASH NANTERRE : SOIGNER, PARTAGER, HABITER
le 05/07/2019
L’approche contemporaine du care, portée par Cynthia Fleury notamment, propose de repartir de la notion de soin pour redéfinir « l’habitable » et « l’habiter ». Cette proposition devient concrète lorsqu’il s’agit de restructurer un hôpital pour en faire un morceau de ville, un ensemble de logements : le soin peut-il devenir un outil d’action architecturale et urbaine ? C’est l’enjeu de notre proposition « Nanterre Partagée », lauréate de l’appel à projets « IMGP 2 » sur le site du C.A.S.H. Nanterre, avec l’équipe portée par CDU, Novaxia, Crédit Agricole Immobilier, Icade, et en partenariat avec les architectes Reichen & Robert et Nem.
La « Maison de Nanterre », bâtie en 1868.
La « Maison de Nanterre », bâtie par Achille Hermant en 1868, a été un centre de détention avant de devenir, au début du 20ème siècle un centre d’assistance et de soin : glissement inverse de celui opéré sur le site de la prison de la Santé, qui fut auparavant une « maison de la santé » avant son transfert vers ce qui est aujourd'hui le centre hospitalier Sainte-Anne. Ces transformations historiques passent ainsi d’une pratique de « discipline » vers une autre, si l’on se réfère au cadre d’analyse proposé dans les textes de Michel Foucault, et renvoient par ailleurs aux lectures proposées par le sociologue de l’Ecole de Chicago Erving Goffman : prisons et hôpitaux, selon Goffman sont des « institutions » travaillant à la même mise à l’écart des vulnérables, à leur sortie de l’espace visuel de la société.
La configuration urbaine du CASH Nanterre est une illustration concrète des conséquences spatiales de ces visions historiques : de son passé, le site a conservé sa fermeture, son opacité, rendue particulièrement efficace par le mur d’enceinte qui entoure les bâtiments. Des bâtiments qui quant à eux, avec leur typologie pavillonnaire, témoignent d’une autre pensée de l’espace se superposant à celle disciplinaire : celle hygiéniste, cherchant à favoriser la circulation de l’air et à valoriser les bienfaits des espaces extérieurs sur les habitants.
La première décision du projet, dans ce contexte, s’est imposée rapidement : percer l’enveloppe, ouvrir le territoire, rendre ses occupants visibles au reste de la cité. En faisant ceci, la démarche s’inscrit d’une certaine manière dans les approches contemporaines du soin qui cherchent à rendre visible ce qui longtemps fut sorti de l’espace public ; à reconnaitre la vulnérabilité de l’humain, qui est sa condition initiale et qui peut même devenir une force de création. Certes, nous ne parlons pas à Nanterre d’un changement de regard sur les patients, puisque l’usage du lieu change ; mais qu’importe sans doute, car le soin tel qu’il est proposé par Joan Tronto ou Cynthia Fleury est une pratique qui doit dépasser largement l’espace particulier de l’hôpital. La déconstruction du mur d’enceinte est ainsi une étape symbolique nécessaire à la fabrication d’une « ville soignante ».
Ouvrir le CASH Nanterre sur son territoire (Nanterre Partagée, 2019).
L’ouverture radicale du territoire passe également par la fabrication de vides à l’intérieur du site, en cohérence et en continuité avec les aménagements paysagers voisins, notamment sur la ZAC du Petit-Nanterre. Sur le site du CASH, des parcours doux traversent le site d’est en ouest liant d’est en ouest ; et plus généralement, les jardins, parcours verts et toitures végétalisées représentent plus de 71 % du projet. Le jardin du cloître, conçu à l’origine comme un jardin intérieur entre le bâtiment 23 et le pavillon principal du CASH, se transforme en un espace vert partagé.
Le jardin du cloître (Nanterre Partagée, 2019).
Les opérations urbaines de désenclavement et percements fabriquent un ensemble bâti constitué d’une diversité d’éléments compacts, aux échelles domestiques. Autant de lieux qui font coexister différentes manières d’habiter : 259 logements en accession, selon une diversité de configurations évolutives accompagnant l’évolution des situations de vie ; un habitat de type Homdyssée qui permet de reconfigurer son logement de façon réversible ; des habitats partagés Cohab, avec de vastes espaces partagés et mutualisés ; la résidence Pauséôme dédiée aux salariés en mobilité et équipée d’un café participatif en rez-de-chaussée.
Des bâtiments aux dimensions domestiques, disposés dans un jardin commun (Nanterre Partagée, 2019).
La notion de care telle qu’elle est reprise aujourd’hui revalorise l’action de « réparation », et cela induit un nouveau rapport aux objets. Pour travailler concrètement à cette idée, le bâtiment 23 du CASH, bâtiment lui-même conservé et « réparé », devient La Flânerie : un lieu d’échange et de pratique autour de la récupération et réparation des objets qui nous entourent. D’autres programmes, tous producteurs de nouvelles solidarités, s’y ajoutent et viennent ainsi compléter le « territoire soignant » du nouveau CASH Nanterre.
La Flânerie (Nanterre Partagée, 2019).
Dernière déclinaison de l’idée du soin : prendre soin de l’architecture elle-même ? C’est une autre piste de travail. Lorsque les pensées du care nous invitent à reconnaître, voire à valoriser, la vulnérabilité de l’humain, cette grille est-elle alors déplaçable vers la production de l’humain – ses objets, ses artefacts, ses architectures ? Y a-t-il une vulnérabilité de l’architecture à reconnaître, et comment procéder ?
La réflexion portée dans le projet du CASH Nanterre nous invite à chercher des solutions inédites : alors que le bon sens nous a rapidement amenés à choisir la déconstruction et reconstruction de bâtiments neufs (hors bâtiment 23), comment conserver des traces de l’histoire ? Le réemploi et le recyclage doivent assumer ici une dimension mémorielle, assumant l’inscription du nouveau dans un temps déjà long, dans un site habité par d’autres avant nous. C’est dans ce but que les matériaux issus de la déconstruction de l’existant – meulières, pierres de taille, moellons, zinc et tuiles plates – deviennent ici un gisement pour créer d’autres architectures, comme des éléments en gabion pour les façades des futurs logements. Cette démarche, qui s’avère singulièrement riche dans le territoire du CASH, s’inscrit par ailleurs dans une réflexion expérimentale de long terme sur le réemploi, via une thèse CIFRE menée à l’agence SCAU avec l’ecole des Arts Décos de Paris.
Ainsi, si certains éléments matériels du site peuvent en constituer une « origine », c’est une origine telle que l’entendent des auteurs comme Tim Ingold ou Svletlana Boym : une origine que l’on peut s’approprier, déconstruire déformer, réactualiser en lui donnant des formes nouvelles. Afin que le nouveau récit, en puisant dans le passé, ouvre un nouveau chapitre qui s’adresse au futur.
Processus de déconstruction et de réemploi, des façades existantes vers des nouveaux éléments architecturaux : gabions et terrazzo.
Premières pour des éléments de façade en gabions.
Façade intégrant des panneaux en gabions, Avenue de la République (Nanterre Partagée, 2019).