Creative commons
La reconversion du garage Gambetta était l’un des sujets de réflexion proposés par la première session de « Réinventer Paris », en 2015. L’enjeu était le suivant : transformer une structure existante, vouée au stationnement automobile, pour concevoir un lieu répondant à de nouvelles manières d’habiter. Toute reconversion est une opportunité, du fait de ses contraintes qui sont à prendre comme libératoires, comme des occasions pour éviter les solutions prédéterminées. Ainsi la non-conventionalité d’un garage induit d’elle-même une réponse inattendue dans un programme d’habitat (nous l’avons expérimenté aussi en imaginant la transformation d’un parking souterrain en hôtel). Mener à bien une reconversion aujourd’hui, c’est surtout ce qui doit permettre d’envisager les reconversions suivantes : comprendre et révéler les qualités intrinsèques de l’architecture, pour les mettre à disposition des prochains réaménageurs : hier garage, demain habitation, et après-demain autre chose.
Entre intime et collectif – « commun » ?
L’existant est aussi celui urbain, à plus grande échelle : un quartier en résistance face à la gentrification parisienne, résistance productrice d’une demande croissante d’alternatives résidentielles. Et cela n’est pas qu’une affaire de contraintes. Si la précarisation économique des familles monoparentales est, par exemple, l’un des signes les plus dramatiques d’une certaine évolution sociétale, et si l’allongement de la durée de la vie se traduit par un isolement des personnes âgées, le partage du lieu de vie quotidien est désormais, aussi, un projet qui répond autant à un nouveau choix de vivre ensemble qu’à une volonté de diminuer le taux d’effort du loyer. Les mœurs changent vite, et les projets d’habitat participatif se multiplient.
La reconversion du parking Gambetta a été l’occasion, pour l’agence, de travailler ces sujets. En reposant quelques questions fondamentales, sur les limites traditionnelles et structurantes entre privé et public, entre espace du logement et espace partagé, entre sommeil et éveil ? Peut-on déplacer, ou élargir, le seuil ? Qu’accepte-t-on de mettre en commun, de partager, et selon quelles règles ? Ce sont les enjeux de négociation, tout à fait concrets et quotidiens, que les jeunes en colocation connaissent bien. Et ce modèle de la colocation, jeu de limites et de transactions entre l’individu et le groupe, s’étend aujourd’hui bien au-delà des populations étudiantes.
La notion de « commun », remise au goût du jour par le droit numérique en particulier (et les licences « creative commons »), a ici un intérêt, en tant qu’elle peut proposer une voie intermédiaire pour aborder la « propriété » et les modalités d’usage d’un morceau d’espace. Les commons britanniques étaient ainsi des espaces au statut hybride, partagés par les agriculteurs dans un but productif (faire pousser, nourrir le bétail…) et selon des règles égalitaires. Ni espace public (son usage était restreint et encadré), ni espace privatisé par un seul, le commun est fondamentalement le terrain de la négociation raisonnée et, par définition, inachevée.
Pour les espaces du projet HabLab, nous avons ainsi différencié :
Ce qui relève du plus intime : la toilette, la chambre, la salle de bains, les sanitaires ; ainsi que certains repas (petit-déjeuner) ;
Ce qui est partageable, ou partagé : d’autres repas (diner, déjeuner), le jeu, le divertissement, la détente, le séjour, la bibliothèque… ;
Et ce qui est plus largement mutualisé, voire externalisé : cave, archives, laverie, buanderie, coworking…
Par ailleurs cet effort de redéfinition des limites est l’occasion aussi de repenser les mouvements, les séquences d’entrée et de sortie, de passage d’un espace à un autre : ainsi chacun entre dans son appartement en traversant un large espace collectif, qui regroupe un salon, une bibliothèque, un coin jeu pour les enfants, une cuisine et sa grande table pour diner. Puis il accède à sa partie privative par une petite entrée, transition entre le partagé et l’intime. Enfin, le projet tire profit de sa configuration architecturale et urbaine pour créer des espaces collectifs supplémentaires, autour de la trémie traversant l’ilot et sur le toit terrasse : salle de jeux, serre, potager, et d’autres choses non encore définies.
Si le projet HabLab a été perdu, il a lancé une réflexion prospective qui s’est poursuivie, consolidée, jusqu’à sa future réalisation – application concrète des « vertus de l’échec ». Une étude théorique, menée en 2018 avec CDU, a ainsi cherché à décliner, sous d’autres formes, ces nouvelles stratégies de repartition des espaces (entre collectif, commun, intime), en posant à nouveau la question : qu’acceptons-nous de partager ? Et en 2019, c’est à Nanterre que ces expérimentations ont finalement intégré un projet qui verra le jour.