Nostalgie ?
Dans son très beau texte, Nostalgia, Svetlana Boym travaille à la distinction entre deux attitudes de l’Homme vis-à-vis de son patrimoine (culturel, écrit, bâti) : la nostalgie « restaurative » (restorative), cherchant la refabrication d’un état culturel initial, supposé ou fantasmé, comme le point de référence d’une pensée traditionnelle, voire traditionaliste. Nombre de démarches de restauration architecturale, travaillant à reproduire et donc à effacer le passage du temps et des habitants, sont des concrétisations de cette attitude.
L’autre attitude proposée par Boym est aussi une nostalgie (le terme est revendiqué), mais une nostalgie « réflexive ». Plutôt que la reproduction autoritaire d’une origine indiscutable, il s’agit de mettre en doute cette origine ; de travailler non pas tant sur le moment initial, mais sur ce que le temps a fait à ce moment initial. C’est une démarche de réflexion sur la possibilité même d’une origine comme élément fondateur d’un récit collectif ; et s’il y a une origine, elle est à réactualiser, à reconstruire, toujours ; donner un cadre pour fabriquer la « mémoire des vivants » (selon la formule de Tim Ingold) plutôt qu’un monument dédié à la « grande surcharge des morts » (cette fois, c’est Foucault qui parle).
L’attitude réflexive de Boym décrit bien ce que l’agence tâche de mettre en œuvre lorsqu’elle a à travailler avec un patrimoine architectural. La mémoire contenue dans les pierres nous parle d’une infinité d’usages, de vies, de petites et de grandes histoires : que faire de cette matière ? La responsabilité est grande. L’architecture, annonçait Aldo Rossi, doit désormais s’adresser à la mémoire plutôt qu’à l’histoire : c’est-à-dire, rendre possible des usages distincts d’une « fonction » initiale et constitutifs d’une mémoire collective en construction.
Il y a une manière de faire que nous travaillons en partenariat avec l’école des Arts Décos, via un projet de recherche doctorale porté par la designer Anna Saint-Pierre : textiliser la matière que l’on trouve sur site, et, par là, textiliser les usages, et textiliser la mémoire. Une manière de garder des traces tout en rendant possible la fabrication de nouvelles significations vivantes de l’habiter.