SCAUcité
Hypothèse : tâcher de reconstruire des regards neufs (natifs, naïfs) sur la ville, en mettant de côté nos habitudes et en repartant de la ville comme objet(s) sensible(s). En récoltant des réalités individuelles, subjectives et racontées librement ; celles d’un moment à la fois singulier pour chacun, mais vécu par tout le monde et à peu près en même temps : le voyage quotidien, de l’intimité à l’espace commun de l’agence.
La ville est le décor d’une multitude de traversées, rocambolesques, romantiques ou ennuyeuses, qui ont pour seul point commun de converger, tous les jours vers 9h30, au 35 rue Tournefort à Paris. Exercice de phénoménologie collective, récits (partageables ?) d’un passage des intimes au social.
À côté de la tentative de rassemblement des histoires dans un film commun, il y a quelques leçons, incomplètes, indiscutables mais inclassables, incompatibles mais coexistantes :
La nécessité du rite, du rituel, de la répétition rassurante ; le café d’en bas, en famille ou avec d’autres parents d’élèves, le changement de trottoir, la pause à mi-trajet pour une viennoiserie chez Pauline ou Aux Merveilleux, le coup d’oeil vers une statue croisée mille fois mais qui garde son mystère, le joueur d’accordéon de Duroc, la fleuriste japonaise.
Des habitudes sonores, Léa Salamé au réveil et les immanquables lancements radio d’Augustin Trappenard, mais parfois manqués en cas de retard, la faute aux brouilleurs de la Prison de la Santé.
Une autre forme de routine, celle qui devient obsessionnelle et qui rend fou, les mêmes arrêts du même train récité comme un cantique au haut-parleur, les noms de gare qui s’inscrivent dans l’inconscient jusqu’à y tresser un rosaire.
Pour certains, quelques images font oublier tout le reste, une publicité à la beauté irréelle pour une marque de cosmétique, ou un champ de fleurs qui rappelle un moment de l’enfance.
Pour d’autres, le trajet devient expérience esthétique, la ville traversée comme un décor de film, des histoires de lumière, de reflet, des architectures opaques et majestueuses, des cieux magnifiques, un émerveillement qui ne passe pas. Et la Seine, qui marque tant d’esprits matinaux, le changement de rive comme amorce de la journée qui démarre.
Expérience historique aussi, et leçon d’aménagement. Des tracés de rues qui persistent depuis des siècles, des places qui ont été le théâtre de supplices, des pierres qui en vu d’autres et qui nous survivront.
La mémoire de notre rue, la rue Tournefort qui fut habitée par Paul Celan, et la mémoire de notre bâtiment, le numéro 35, qui a vu naitre la première box internet. Des histoires anciennes et qui nous hantent, des fictions, des fables, des envies d’ensauvagement, des rues Tournefort transformées en jardins, des jardins déjà sauvages et qu’on aimerait domestiquer, et des passages à la salle de sport en compagnie de Michel Houellebecq.
Des détours, des demi-tours, des changements de parcours, en fonction du temps, de l’humeur, de l’heure d’une réunion matinale. Ne pas prendre le métro le plus proche pour avoir le temps d’une première cigarette, ou descendre du même métro plus tôt que prévu pour traverser le marché de la Place Monge ou pour profiter d’une remontée glorieuse de la rue Soufflot.
Des habitués anonymes retrouvés dans le métro, la dame qui a des gants en cuir et le monsieur qui met ses lentilles devant tout le monde ; le regard imprévu d’un inconnu, ou celui espéré d’un garçon secrètement courtisé et à retrouver, sait-on jamais, sur croisédanslemétro.com.
Des habitudes qui changent le soir, les trajets prennent des détours immenses, flânerie ou lèche-vitrines ; ou des habitudes qui changent si un enfant nous accompagne et voit la ville d’un peu plus bas.
Il y a des voyages qui durent deux minutes, d’autres qui durent deux heures quinze. Paris, Joinville-Le-Pont, Boulogne-Billancourt, Méré, Montrouge, Gif-sur-Yvette, Vanves, Chaville, Rouen, Lille, ..., des trottinettes, des vélos (qui détestent les trottinettes), des marcheurs, beaucoup de métro, quelques motos, une ou deux voitures, des trains, et un wagon-bar désespérément vide.