Sleeping around
Qui est là
toujours là dans la ville
et qui pourtant sans cesse arrive
et qui pourtant sans cesse s’en va
C’est un fleuve répond un enfant
un devineur de devinettes
Et puis l’oeil brillant il ajoute
Et le fleuve s’appelle la Seine
quand la ville s’appelle Paris
et la Seine c’est comme une personne
Des fois elle court elle va très vite
elle presse le pas quand tombe le soir
Des fois au printemps elle s’arrête
et vous regarde comme un miroir
et elle pleure si vous pleurez
ou sourit pour vous consoler
et toujours elle éclate de rire
quand arrive le soleil d’été
Jacques Prévert
Communautés circulaires
Une roue en bois, posée sur l’eau, au bord du quai, qui tourne au rythme du courant : Wheel Hotel.
Plusieurs lectures sont possibles. Il pourrait s’agir d’une application à la lettre de la résurgence contemporaine des envies de « matérialité », et de « modularité » : l’objet en bois est visiblement démontable ; ses méthodes d’assemblage et de désassemblage sont intuitives, compréhensibles par l’œil, comme celles utilisées pour les moulins à eau ou les montagnes russes (des poutres et des bastaings).
Plus encore, sa forme universelle, canonique, la roue, ramène aux fondamentaux de la construction. Objet universel, voire générique ? Lecture qui parait confirmée par autre chose : parce qu’il s’élève sur l’eau et non sur la terre, le projet se déleste de contraintes locales et peut s’installer en tout point du globe – tant qu’il y a un fleuve. (Prend-t-on le risque d'un nouvel avatar de l’homogénéisation redoutée des métropoles ?)
Soit. Mais une deuxième lecture est possible, l’universalité est contrecarrée par une autre histoire. Accrochées à la roue, dix-neuf capsules, autant de chambres, un peu spartiates (confort contemporain), mais leur seul luxe est ailleurs : une fenêtre circulaire, de la taille de la chambre, est grande ouverte sur la ville. Dix-neuf regards uniques qui se suivent, dans un mouvement rotationnel solidaire mais composé d’expériences individuelles.
Le plus beau des voyages, c’est la fête foraine
Pour celui qui monte à bord, c’est la construction possible d’un autre regard sur la ville et sur ses monuments qui, aussi célèbres et fréquentés soient-ils pour certains, deviennent alors un paysage intime, personnel, exclusif, un dialogue qui prend le temps nécessaire entre l’observateur et l’observé. L’esthétique de la ville n’est plus imposée, autoritaire, elle s’apprivoise, par touches décomposées qui finalement s’assemblent pour reformer une réalité.
Pour celui qui reste à quai, le projet a aussi quelque chose à raconter. Il est un objet d’étonnement, l’étonnement et l’émerveillement enfantins qui persistent souvent, malgré l’âge qui avance, à l’approche d’une fête foraine. Un défi technique aussi, d’autant plus magique qu’il n’est là que pour un temps, dans la tradition des monuments éphémères érigés lors des expositions universelles.
Swing me to sleep
Des « capsules » plus que des chambres : référence aux célèbres hôtels japonais (celui de Kurokawa par exemple) qui ont revu radicalement la répartition entre espaces privés (réduits au lit) et espaces publics. Référence aussi à l’idée d’un voyage astral, interstellaire, qui, lorsqu’il dure des décennies, nécessite la mise en sommeil profond des voyageurs. Le temps du parcours se confond avec celui des rêves, les voyages se supersposent, se suivent, se confondent.
La roue tourne. Les rêves – « la littérature du sommeil » selon Cocteau – s’éternisent, entretenus par le mouvement, sans fin, de la roue sur elle-même. Mouvement perpétuel pour sommeil paradoxal.